1

Et si on jouait avec les images ?

La BBthèque réunit aujourd’hui en une chronique trois albums dont les illustrations constituent comme une succession de drôles de tableaux, originaux, à partir desquels les auteurs-illustrateurs invitent les jeunes lecteurs à interroger l’image, comme un jeu aux multiples facettes. Lectures visuelles à tiroirs, riches en surprises & découvertes : c’est parti?

******************************************************************

Zoom d’Istvan Banyai

Mon premier est désormais un classique, paru en 2002 en France aux éditions Circonflexe [première parution dans son pays d’origine : 1995] et réédité en 2021. Ce livre rouge, muet, est un parcours dont le titre révèle le programme : on commence par un détail de l’illustration, on zoom, puis on prend page après page un peu de recul, on dé-zoom. En changeant la dimension de l’objet ou du sujet représenté, l’ouvrage révèle peu à peu un emboîtement de contextes que le lecteur ne peut de prime abord deviner. Graphiquement, c’est une merveille. La page de gauche reste noire, quoi qu’il arrive ; celle de droite revêt mille et unes couleurs à même de restituer cette image dans l’image dans l’image dans l’image dans l’image…

L’image de départ : quelque chose de rouge, avec des pics, des pointes. Qu’est-ce ? Rendez-vous à la page suivante : une crête de coq. Mais où est ce coq ? Dans une ferme. Qui est en fait un jouet d’imitation, consulté par un adulte dans un catalogue de jeux. Et cet adulte, où est-il ? Au bord de la piscine, sur un paquebot de croisière. Et ce bateau ? Il s’agit en réalité d’une photographie commerciale, publicité d’une compagnie de tourisme, affichée sur un bus. Mais ce bus ? Il passe à la télé. Et cet Indien qui regarde la télé ? C’est en fait un timbre représentant l’Arizona. Bref, vous avez du courrier, non ? Du moins c’est ce que le pilote dans l’avion semble observer. L’avion, qui, comme la terre, est si petit vu d’en haut !

Du niveau micro au niveau macro, un voyage visuel extraordinaire, une expérience de lecture incroyable dès le plus jeune âge. Un véritable apprentissage des langages de l’image et de la représentation, servi par une dimension ludique qui fonctionne à merveille : chercher les détails, les correspondances d’une illustration à une autre, imaginer la suite… Et pourquoi pas, également, lire le livre à l’envers à présent ?

Ce livre est trop petit

de Jean-Pierre Blanpain

Mon second représente, sur sa couverture, un chat certes bleu mais aussi trop grand pour ce livre, à moins, comme le postule le titre de l’ouvrage, que ce ne soit le contraire ? Jean-Michel Blanpain, dans Ce livre est trop petit, paru aux éditions Le Cosmographe en 2021, livre un album beau et joyeux, truffé de jeux de mots & de représentations.

Les illustrations sont délibérément tronquées pour rire de cette situation de décadrage assumé, jouer à l’interpréter. Ainsi, en première double page, après la lecture du titre, peut-on voir sur la page de droite le dessin d’un éléphant privé d’une large partie de sa tête qui, si la page de gauche était illustrée, aurait pu se déployer à cet endroit. A la place, des mots réagissant au titre du livre : « Tour de suite, l’ELEPHANT s’en est aperçu : il assure qu’on le trompe. » Puis vient l’autruche, privée de son long cou qu’on devine pourtant en haut du livre : « L’AUTRUCHE sans cou est d’accord : ce livre ne vaut pas le coup. » Les double-pages défilent de la sorte, adoptant le point de vue de ses animaux friands d’expressions imagées pour rendre compte de leurs représentations déceptives et pourtant jouissives : le mot prend l’image au pied de la lettre, et réciproquement, pour le plus grand plaisir des lecteurs de tout poil.

Qu’on se rassure : l’auteur-illustrateur précise bien, à la fin, qu’aucun animal n’a souffert pendant la réalisation de ce livre. Ouf ! Tout était dans le cadrage !

Les désastreuses conséquences de la chute d’une goutte de pluie d’Adrien Parlange

Mon troisième est un livre dont on croirait, à en lire le titre, qu’il adopte le format paysage. Cependant il se lit plutôt en mode portrait. Pourquoi alors ce titre déclinait de haut en bas sur la page de couverture ? Pour signifier la chute de la goutte d’eau pardi.

Cet album, signé Adrien Parlange aux éditions Albin Michel Jeunesse en 2021, met en scène un tableau vivant et commenté : il décrit une scène on ne peut plus paisible, à la tombée de la nuit. Seule la page de droite est illustrée ; sur la page de gauche, le texte se déploie sur fonds blanc, pour décrire les ingrédients de cette composition.

Un arbre, sur la branche haute duquel une jeune fille est assise pour cueillir des cerises. En légers mouvements : un oiseau construisant son nid, un écureuil se promenant. Au pied de l’arbre, un homme portant sur ses épaules une petite fille, qui aimerait être à la place de la grande fille. Devant lui, probablement le grand-père, observant devant lui l’œuvre  d’un garçon en train de peindre sur son chevalet. Le chien se blottit entre les mollets de l’artiste. Le garçon vient d’apporter la touche finale à son tableau, quand la goutte d’eau, mine de rien, point de détail dans ce tableau, tombe sur l’abeille qui venait de se poser sur le bout de la queue du brave toutou. Patatras ! Le chien pris de peur mord son maître, le garçon tombe à la renverse entraînant dans sa chute arrière l’aïeul et l’homme, tandis que la petite fille qui avait récupéré le panier que lui tendait la grande, plonge comme son aînée tête en avant, tandis que le pied de cette dernière détruit le nid dans l’arbre et précipite l’oiseau dans les bras d’un écureuil pour le moins surpris !

Le jeu porte ici sur l’observation : l’un des enjeux, défis, consiste à regarder ce qui change d’une image à une autre, le tableau général, pas seulement celui du jeune artiste, mais celui de la scène, qui semble dans ses grandes lignes immuable, éternel, quand il est en réalité riche d’imperceptibles et pourtant nombreux mouvements. A commencer par les centres d’intérêt de chaque protagoniste. Sans oublier, pour sûr, cette toute petite goutte de pluie blanche qui vient de tout là-haut dans le ciel et qui descend, page après page, discrètement, jusqu’à causer de grands dégâts.

Un album qui rafraichît et décrit la vie au-delà du tableau.

0

Poème qui roule amasse mousses

Pour la dernière ligne droite avant les fêtes de fin d’année, quoi de mieux qu’envoyer un message fort dès le plus jeune âge : du concret dans un monde de plus en plus virtuel, du vert et de la pierre sur une Terre qui oublie la terre, la BBthèque tient à vous présenter aujourd’hui un livre-objet, un livre texturé, un livre-poème, un livre graphique… Un livre écrit par Karin Serres et illustré par Katsumi Komagata, publié par les éditions Le Cosmographe en l’an 2020 :

Murmure des mousses

Toucher ce livre pour commencer : il est déjà question de matière… L’ouvrir, découvrir les trous, le vert derrière le blanc. L’ouvrir encore, découvrir un sublime poème, que l’adulte peut garder pour lui ou lire à l’enfant, propos liminaire qui dit l’objet du livre, qui dit le livre-objet. Ce poème je ne vous en partagerai pas d’extrait, c’est dans ce livre, dans cette matière, qu’il faut le rencontrer.

Ensuite commence l’histoire poétique & graphique, double du poème, pouvant s’adresser aux plus jeunes enfants. La mousse, les mousses, représentée, représentées par un ou plusieurs petits points verts, sur le fond blanc d’un papier épais. Une mousse dont l’essence est de se multiplier. Des mousses qui se racontent, à la première personne, et se mettent en scène, symboliquement. Toutes douces, les mousses. Les mousses qui, partout, poussent. Murmures des mousses !

Un livre des merveilles pour émerveiller les tout-petits et les très grands, les éveiller, par les images, le toucher, les mots, à l’immense et pourtant si simple trésor qu’est notre environnement.

0

Nouveaux livres à gogo #8 : ours en livres

Depuis le 11 mai, la BBthèque met en lumière des albums récents que vous pouvez vous procurer dans vos librairies indépendantes préférées. Aujourd’hui, la BBthèque vous propose un parcours livresque avec des ours bien léchés qui constituent, dans cette sélection, les meilleurs alliés des tout jeunes lecteurs pour… observer le monde et désigner les couleurs, découvrir la solidarité et l’amitié, ou encore vaincre ses peurs et se sentir protégé !

Ours brun, ours brun, dis-moi ce que tu vois Eric CarleObserver le monde et désigner les couleurs dans Ours brun, ours brun, dis-moi ce que tu vois ? Dans cet album publié aux éditions Mijade, Bill Martin et Eric Carle donnent à voir de beaux personnages de telle ou telle couleur et les interpellent pour les associer à la découverte de qui se cache à la page suivante, interpellation, répétition question, réponse, variante… jusqu’à dévoiler le théâtre de l’action : une salle de classe, avec une institutrice qui enseigne (les couleurs ? les animaux ? la lecture ? tout cela à la fois sans doute) à des enfants.  Un livre rythmé et joyeux, où il fait bon contempler les illustrations-collages d’Eric Carle.

l'ours et le canard may angeliDécouvrir la solidarité et l’amitié : L’Ours et le canard de May Angeli aux éditions des Eléphants, est l’histoire, gravée, d’une rencontre improbable entre un ours et un canard qui vont devenir les meilleurs copains du monde malgré leur différence ; vient un jour où leurs chemins se séparent, mais c’est pour mieux se retrouver par la suite bien sûr ! Quand on est amis, à poil ou à bec, c’est pour la vie. Un album intemporel et doux.

Sur le chemin de la maison patapon patapon - Yukiko Hiromatsu Tomoko KoyamaDompter ses peurs et se sentir protégé : dans Sur le chemin de la maison, patapon, patapon de Yukiko Hiromatsu et Tomoko Koyama aux éditions Le Cosmographe, nous voici, lecteurs, emboîtant le pas d’un petit ourson, à l’heure où le soleil se couche ! Mais que devinons-nous dans le noir ? Des chauve-souris et autres créatures de la nuit ? Un grand monstre effrayant ? Mais non tout va bien, c’était papa ours qui enveloppe l’ourson dans ses grands bras et le raccompagne à la maison auprès de maman. Un récit d’aventure, de type randonnée randonnons, ponctué de la ritournelle « patapon, patapon », et où la peur est passagère, poursuivons, poursuivons.